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samedi 20 janvier 2024

La Théophanie

 

Homélie du P. Placide Deseille pour la fête de la Théophanie.

 

   

La fête de la Théophanie a dans l'année chrétienne une importance au moins égale à celle de Noël. Ceci apparaît d'abord dans la structure liturgique elle-même de cette fête. Elle est précédée d'une vigile au cours de laquelle on célèbre les grandes heures, les Heures Royales, pendant lesquelles nous entendons lire déjà certains Psaumes, certains textes de l'Ancien Testament qui reprennent tous les thèmes fondamentaux de la fête. Puis il y a l'agrypnie, semblable à celle de Noël. À Noël, le Seigneur vient parmi nous, mais il vient presque secrètement, il se manifeste à sa Mère, la Vierge Marie, à Joseph, aux bergers et bientôt aux mages venus d'Orient, mais tout cela est extrêmement discret, secret même, pourrait-on dire. Deux évangélistes seulement, saint Matthieu et saint Luc, ont recueilli de la bouche de la Mère de Dieu, de saint Joseph, de leur entourage, des souvenirs relatifs à ces premiers mois, à ces premières années du Seigneur.

Mais aujourd'hui, c'est la manifestation officielle, pourrait-on dire, du Christ (Mt. 3, 13-17). Il apparaît vraiment comme le Sauveur qui vient parmi nous et qui se manifeste pleinement à son peuple. Et il est un personnage qui joue un rôle tout particulier dans cette manifestation : le saint Précurseur Jean-Baptiste. Saint Jean-Baptiste, qui apparaît tout au long des textes qui nous racontent le baptême du Christ ; saint Jean-Baptiste, dont nous célébrerons d'ailleurs la synaxe en lien étroit avec la fête de la Théophanie. Saint Jean-Baptiste, le plus grand des prophètes, car, si les prophètes avaient annoncé que le Christ viendrait, que le Messie viendrait, saint Jean-Baptiste, lui, annonce qu'il est là. Il nous le montre, il le désigne, et il est appelé à le baptiser lui-même. Et au cours des offices de la Théophanie, des textes admirables veulent exprimer les sentiments de saint Jean-Baptiste, son humilité, et ce frémissement d'adoration qui le pénètre tout entier.

Le Christ vient ainsi au Jourdain pour être baptisé par Jean. Il se manifeste en venant comme un pécheur parmi les pécheurs, montrant par là qu'il a pris sur lui notre péché ; il a pris sur lui le péché du monde. Non pas que le Christ ait jamais, bien sûr, commis le moindre péché personnel, mais il a pris sur lui, réellement, le péché du monde. Il a assumé notre humanité dans son état de péché, et c'est pour manifester cela qu'il vient aujourd'hui se faire baptiser de la main de Jean. C'est en ce sens, comme il le disait lui- même, qu'il vient « pour accomplir toute Justice ».

Ce baptême du Christ revêt une signification toute particulière, car le Christ annonce déjà, par ce geste symbolique, en se plongeant dans les eaux et en ressortant, sa mort et sa Résurrection. Il prend sur lui le péché du monde, il se plonge dans les eaux, mais au contact de son corps vivifiant, ces eaux ne sont plus des eaux destructrices comme celles du déluge, ce sont des eaux qui se transforment en fleuves du Paradis, en sources vivifiantes, dont tous ceux qui s'y plongeront ensuite par le saint baptême recevront la vertu bienfaisante.

Oui, c'est par son baptême au Jourdain que le Christ a instauré le sacrement, le «mystère» du baptême, à la fois comme signe prophétique de sa mort et de sa Résurrection personnelles, et comme « mystère », comme sacrement de notre participation à cette mort et à cette Résurrection.

On doit remarquer combien sont nombreux les rappels d'images et de figures de l'Ancien Testament que l'on peut discerner dans cette scène du baptême. Il y a d'abord, bien sûr, le fleuve du Jourdain lui-même, qui est comme une seconde mer Rouge, franchie miraculeusement. Il y a la voix du Père, la voix du Père qui était déjà présente dans l'œuvre même de la création, la voix du Père qui prononçait la parole créatrice : « Que telle chose soit ! », au cours des six jours de la création, et qui, aujourd'hui, proclame la nouvelle création en son Fils bien-aimé. Et nous voyons aussi l'Esprit-Saint apparaître sous la forme d'une colombe, ce qui nous reporte encore aux premiers jours de la création, car, lorsque le Père créait le monde par sa Parole, le Saint-Esprit était là. Le livre de la Genèse nous dit en effet que « l'Esprit de Dieu planait sur les eaux » (Gen1,2). Et aujourd'hui encore, l'Esprit de Dieu, sous l'aspect symbolique d'une colombe, plane sur les eaux du Jourdain pour manifester que c'est une nouvelle création qui s'accomplit, par la Parole du Père, mais aussi par la puissance de l'Esprit-Saint.

Que le Saint-Esprit se manifeste sous forme d'une colombe, cela nous ramène encore à un autre passage de l'Ancien Testament, à la fin du déluge où le retour de la miséricorde de Dieu, où le pardon divin s'était manifesté par la colombe que Noé avait lâchée, et qui revint vers l'arche porteuse d'un rameau d'olivier. La colombe est le signe de la réconciliation de Dieu avec l'humanité. Et cette colombe qui plane sur les eaux du Jourdain, qui plane au-dessus du Christ lui-même au moment du baptême, manifeste ainsi que tout ce déluge du péché, virtuellement, potentiellement, est terminé, et que par le Christ, par sa mort et sa Résurrection, le péché va être vaincu, que par le Christ, dans le Christ, le Père accorde son pardon à l'humanité. Oui, ce n'est pas sans signification que le Saint-Esprit se manifeste ainsi sous la forme d'une colombe, cela évoque beaucoup de choses.

Et puis, l'immersion elle-même du Christ dans le Jourdain et sa sortie du fleuve, nous renvoient d'abord au passage de la mer Rouge, à ce passage d'Israël, libéré de la servitude de Pharaon, image du pharaon spirituel, le démon. Par le passage de la mer Rouge, Israël échappait à la servitude, comme nous, les chrétiens, nous échappons par le baptême à la servitude du démon, pour entrer dans la liberté des enfants de Dieu. Mais après le passage de la mer Rouge, Israël dut traverser le désert ; or le Christ va revivre cela lui aussi, car, dans quelques jours, il sera conduit par l'Esprit au désert pour y affronter Satan, pour lutter à visage découvert contre lui pendant quarante jours, qui rappellent les quarante ans qu'Israël passa au désert, soumis à de multiples tentations. Pour nous, les quarante jours du carême, qui viendront bientôt, seront un rappel de ces quarante jours du Christ au désert.

Le baptême du Christ dans le Jourdain nous rappelle aussi le passage du Jourdain par le peuple d'Israël, à l'issue de ces quarante ans d'errance au désert, sous la conduite de Josué, dont le nom est le même que celui de Jésus (ce sont deux transcriptions différentes du même nom). Josué conduisait le peuple à travers le Jourdain, miraculeusement asséché comme l'avait été la mer Rouge, mais cette fois pour entrer dans la terre promise. De même, le Christ, par son baptême, nous fait entrer avec lui, à sa suite, « en lui » dans la vraie terre promise. La vraie terre promise, qui, en réalité, est le ciel ; or, justement, dans cette scène du baptême du Seigneur, nous voyons les cieux s'ouvrir. Que les cieux s'ouvrent ainsi est également loin d'être sans signification : cela montre que nous pouvons maintenant, à la suite du Christ, notre véritable Moïse, notre véritable Josué, entrer dans la vraie terre promise qui est le royaume des cieux, où nous pénétrons déjà par notre baptême. Notre baptême, dont nous devrons revivre le mystère tout au long de notre vie chrétienne, en attendant la révélation de notre vie céleste dans l'au-delà. Un grand auteur orthodoxe, saint Nicolas Cabasilas, au XIVe siècle, insistait beaucoup sur le profit qu'il y a pour les chrétiens à relire et à méditer les textes eux-mêmes de la cérémonie du baptême, car ils nous révèlent ce que nous sommes, et ce que, en même temps, nous devons devenir. Ils nous révèlent ce que nous sommes déjà devenus radicalement, et ce que nous devons devenir toujours plus réellement, dans une plénitude toujours croissante, tout au long de notre vie chrétienne.

Cette fête de la Théophanie du Seigneur nous invite ainsi à repenser toujours à notre baptême, à toujours méditer sur cet immense don de Dieu que nous avons reçu, ce don qui a fait de nous des fils de Dieu, qui nous a greffés sur le Christ ressuscité, sur son Corps glorieux, ce Corps qui a sanctifié les eaux, mais qui déverse maintenant sur nous, tout au long de nos journées, des fleuves de grâces, car toute grâce, toute participation à la vie divine, nous vient par la sainte humanité glorieuse du Christ.

C'est tout cela que nous fait entrevoir cette fête de la Théophanie, et tous ces textes liturgiques, tellement beaux, tellement riches, que nous ne méditerons jamais assez. Et le Père pourra alors, se penchant sur nous, dire aussi de nous : « celui-ci est mon fils bien- aimé ». Chacun de nous doit devenir, dans le Fils unique, fils adoptif du Père, non pas d'une façon juridique et extérieure, mais d'une façon profondément réelle, par une participation véritable à sa vie divine.

Que tout cela se réalise en nous toujours davantage, chaque jour de notre vie, par notre coopération à la grâce de notre baptême ! À la gloire du Père, par le Fils, dans l'Esprit-Saint, Dieu unique à qui soit la gloire dans les siècles.  Amen.

 

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